Lettre de Benjamin Fillon à Antoine-Louis Barye du 31 octobre 1859

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Fontenay - Vendée , 31 octobre
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1859 .
Monsieur,
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Je ne sais trop comment aborder
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le sujet qui me fait vous écrire; mais
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je vous sais le coeur bienveillant
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et haut placé; cela m'engage à
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aller tout droit à vous.
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J'ai entrepris, depuis quelques années
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d'écrire un livre sur la Vendée et les
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guerres civiles, triste chapitre, helas! de
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l'histoire de notre chère France. David
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d'Angers , vivant alors, me fit l'insigne
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honneur de dessiner le frontispice
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de ce livre, qui sera prochainement
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livré à l'impression. je voudrais
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donner un pendant à cette touchante
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composition d'un sculpteur illustre;
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aussi ai-je pensé tout naturellement
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à vous, qui tenez la première place
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parmi les artistes de notre temps.
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David , mu par ce sentiment de
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concorde, placé au fond de toutes les
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nobles âmes, a représenté l'histoire,
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couronnée de cyprès, éclairée par la
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justice, s'apprêtant à écrire une
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page douloureuse de nos annales.
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A sa droite et à sa gauche, les chefs
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de deux partis se présentent à elles,
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avec leurs intentions et leurs actes;
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tandis qu'à leurs pieds, une vendéenne, entourée
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de cinq petits enfants qu'elle nourrit et protège
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jette un regard de reconnaissance sur
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le rameau d'olivier apporté par Hoche .
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Telle est l'oeuvre de votre regretté
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collègue. Je voudrais maintenant avoir
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de vous une composition analogue quant
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au fond, mais différente quant à la forme,
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appropriée à votre génie, à la fois si
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original et si puissant, qui sait rendre
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la figure humaine avec non moins de
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grandeur que celles des autres êtres de la
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création; je voudrais la Paix juste,
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calme et forte, foulant aux pieds un lion,
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un serpent et un sanglier: sur un cippe, #
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# surmonté d'un coq, symbole de la première république,
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seraient deux mains, enlacées dans une couronne
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de chêne, emblême de fraternité et d'oubli du
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passé, et audessous lemot : Vendée.
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Votre dessin serait gravé in folio par l'un de nos
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meilleurs artistes; par celui que vous désigneriez
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vous même. je me ferai un devoir de suivre
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en cela vos conseils.
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Pour ce qui est du prix, étant très peu riche, je
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ne puis vous offrir que 600 fr., modeste indemnité
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que vous trouvez sans doute insuffisante; mais
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qui est la mesure de ce qu'il m'est possible de
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faire, ma bourse étant moindre que ma bonne
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volonté. si vous daignez accepter cette offre, veuillez avoir la
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bonté de me répondre, afin que je vous fasse
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tenir les 600 fr.
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J'avais d'abord songé à me servir de l'intermédiaire
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de l'un de mes bons amis, Mr Maindron , sculpteur connu
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de vous; mais, ensuite, j'ai préféré vous écrire directe-
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ment, et j'ai pensé qu'il valait mieux vous exposer
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tout simplement ma supplique.
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Le livre que ces gravures sont destinées à orner
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sera imprimé à mes frais, avec le plus grand soin
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s'il est très inférieur comme mérite littéraire,
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il contiendra plus d'une vérité utile et au point
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de vue typographique, ne sera pas du moins, trop
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indigne de renfermer de telles illustrations. J'en
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écarterai tout espèce de luxe inutile et lui
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ferai donner ce cachet de sévérité et de bon
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goût, propre à nos belles éditions françaises.
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Il est bien entendu que vous avez toute
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latitude pour la dimension de cette esquisse
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sur papier et pour le procédé d'exécution.
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plume, lavis, mine de plomb, aquarelle, tout
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me sera agréable venant de votre main. Le programme
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que je me suis permis de tracer peut aussi, à la
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rigueur, être modifié selon votre volonté.
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Précieusement conservé comme un monu-
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ment de famille, dans mon cabinet de travail
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d'antiquaire, il y sera en bonne compagnie,
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avec des dessins originaux de Poussin , Lesueur ,
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Albert Durer , Rembrandt et quelques oeuvres
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de choix de grands graveurs, depuis Marc-Antoine
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jusqu'à notre Prud'hon . Ces perles réunies
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il y a plus de vingt ans, alors que j'étais
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étudiant en droit à Paris, ne sont plus accessibles
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aujourd'hui au modeste travailleur de province.
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Oserais-je vous demander également si
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vos cartons ne renfermeraient pas par hasard
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une de ces fières études d'homme ou d'animaux
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que seul vous savez faire et qu'il m'est arrivé
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parfois d'admirer entre les mains de quelques
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privilégiés. si elle existe et vous soit inutile
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ou indifférente, quelle valeur lui attribuez-vous?
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Adieu, Monsieur, prenez en considération
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ma demande et croyez au profond respect
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de l'un de vos plus sincères admirateurs.
Benjamin Fillon . P.S je charge l'un de mes correspondants de vous
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remettre deux de mes précédentes publications.
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Je m'aperçois, en relisant ma lettre, que le programme
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de dessin y est incomplet et assez peu clairement formulé.
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il me semble donc utile de vous le soumettre de nouveau
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et de lui donner une autre rédaction.
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La paix, calme, bienveillante et forte, foulant
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aux pieds un lion, un serpent et un un sanglier, s'appuie
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sur un cippe carré, surmonté du coq symbolique de la
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première République française. sur le côté le plus apparent
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du cippe, deux mains enlacées dans une couronne de chêne,
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supp tiennent une balance, emblême de fraternité, de
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justice et d'oubli du passé. sur la base, le mot Vendée.
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A côté de la paix une charrue.