p.1 Fontenay-Vendée, 31 octobre 1859.Monsieur, Je ne sais trop comment aborder le sujet qui me fait vous écrire; mais je vous sais le coeur bienveillant et haut placé; cela m'engage à aller tout droit à vous. J'ai entrepris, depuis quelques années d'écrire un livre sur la Vendée et les guerres civiles, triste chapitre, helas! de l'histoire de notre chère France. David d'Angers, vivant alors, me fit l'insigne honneur de dessiner le frontispice de ce livre, qui sera prochainement livré à l'impression. je voudrais donner un pendant à cette touchante composition d'un sculpteur illustre; aussi ai-je pensé tout naturellement p.2 à vous, qui tenez la première place parmi les artistes de notre temps. David, mu par ce sentiment de concorde, placé au fond de toutes les nobles âmes, a représenté l'histoire, couronnée de cyprès, éclairée par la justice, s'apprêtant à écrire une page douloureuse de nos annales. A sa droite et à sa gauche, les chefs de deux partis se présentent à elles, avec leurs intentions et leurs actes; tandis qu'à leurs pieds, une vendéenne, entourée de cinq petits enfants qu'elle nourrit et protège jette un regard de reconnaissance sur le rameau d'olivier apporté par Hoche. Telle est l'oeuvre de votre regretté collègue. Je voudrais maintenant avoir de vous une composition analogue quant au fond, mais différente quant à la forme, appropriée à votre génie, à la fois si original et si puissant, qui sait rendre la figure humaine avec non moins de grandeur que celles des autres êtres de la création; je voudrais la Paix juste, p.3 calme et forte, foulant aux pieds un lion, un serpent et un sanglier: sur un cippe, # # surmonté d'un coq, symbole de la première république, seraient deux mains, enlacées dans une couronne de chêne, emblême de fraternité et d'oubli du passé, et audessous lemot : Vendée. Votre dessin serait gravé in folio par l'un de nos meilleurs artistes; par celui que vous désigneriez vous même. je me ferai un devoir de suivre en cela vos conseils. Pour ce qui est du prix, étant très peu riche, je ne puis vous offrir que 600 fr., modeste indemnité que vous trouvez sans doute insuffisante; mais qui est la mesure de ce qu'il m'est possible de faire, ma bourse étant moindre que ma bonne volonté. si vous daignez accepter cette offre, veuillez avoir la bonté de me répondre, afin que je vous fasse tenir les 600 fr. J'avais d'abord songé à me servir de l'intermédiaire de l'un de mes bons amis, MrMaindron, sculpteur connu de vous; mais, ensuite, j'ai préféré vous écrire directe- ment, et j'ai pensé qu'il valait mieux vous exposer tout simplement ma supplique. Le livre que ces gravures sont destinées à orner sera imprimé à mes frais, avec le plus grand soin s'il est très inférieur comme mérite littéraire, il contiendra plus d'une vérité utile et au point de vue typographique, ne sera pas du moins, trop indigne de renfermer de telles illustrations. J'en p.4 écarterai tout espèce de luxe inutile et lui ferai donner ce cachet de sévérité et de bon goût, propre à nos belles éditions françaises. Il est bien entendu que vous avez toute latitude pour la dimension de cette esquisse sur papier et pour le procédé d'exécution. plume, lavis, mine de plomb, aquarelle, tout me sera agréable venant de votre main. Le programme que je me suis permis de tracer peut aussi, à la rigueur, être modifié selon votre volonté. Précieusement conservé comme un monu- ment de famille, dans mon cabinet de travail d'antiquaire, il y sera en bonne compagnie, avec des dessins originaux de Poussin, Lesueur, Albert Durer, Rembrandt et quelques oeuvres de choix de grands graveurs, depuis Marc-Antoine jusqu'à notre Prud'hon. Ces perles réunies il y a plus de vingt ans, alors que j'étais étudiant en droit à Paris, ne sont plus accessibles aujourd'hui au modeste travailleur de province. Oserais-je vous demander également si vos cartons ne renfermeraient pas par hasard une de ces fières études d'homme ou d'animaux que seul vous savez faire et qu'il m'est arrivé parfois d'admirer entre les mains de quelques privilégiés. si elle existe et vous soit inutile ou indifférente, quelle valeur lui attribuez-vous? Adieu, Monsieur, prenez en considération ma demande et croyez au profond respect de l'un de vos plus sincères admirateurs.Benjamin Fillon.P.S je charge l'un de mes correspondants de vous remettre deux de mes précédentes publications. p.5 Je m'aperçois, en relisant ma lettre, que le programme de dessin y est incomplet et assez peu clairement formulé. il me semble donc utile de vous le soumettre de nouveau et de lui donner une autre rédaction. La paix, calme, bienveillante et forte, foulant aux pieds un lion, un serpent et un un sanglier, s'appuie sur un cippe carré, surmonté du coq symbolique de la première République française. sur le côté le plus apparent du cippe, deux mains enlacées dans une couronne de chêne, supp tiennent une balance, emblême de fraternité, de justice et d'oubli du passé. sur la base, le mot Vendée. A côté de la paix une charrue.