Lettre d'Adolphe Napoléon Didron à Antoine-Louis Barye du [12 avril ou du 12 septembre 1834]

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Monsieur Barye
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41, rue des Noyers .
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Samedi 12, 5 heures du soir. Mon cher Barye ,
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Je suis presque désespéré, car tout me manque à la fois.
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D'abord je croyais que parmi cinq à six ressources, une
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au moins serait bonne, et voilà que partout la glace me
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casse sous les pieds.
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Jeudi j'ai été à la Revue de Paris : Amédée Pichot ,
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le directeur est en voyage. 1° reviendra-t-il ? 2° quand ?
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3° voudra-t-il de moi ? Voilà trois questions auxquelles
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je n'ai trouvé aucune réponse. On a promis de me
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donner à annoter un Tite-Live : est-ce une promesse de
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cour ? supposé qu'on y repense, quand y repensera-t-on ?
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800 F me sont dus sur des biens achetés à la succession
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de ma mère ; je comptais les toucher en Champagne :
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J'attends encore. J'espérais avoir deux leçons en ville :
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une a raté. Quand j'avais quelqu'argent, j'en ai
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prêté un peu à Clément , il devait me le rendre ces jours-ci
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et il n'en a pas. Et pourtant j'en avais besoin pour
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payer le terme à mon propriétaire qui m'attend avec la
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plus vive impatience. Il y a 15 jours j'ai écrit à
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Desnoyers pour le Charivari : pas de réponse.
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Et cependant tout romantique qu'on est, on mange
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comme les autres !
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Tout cela, et je ne sais combien d'autres misères encore
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que je ne veux pas vous écrire, car c'est insipide à assommer
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un honnête homme, me tourmente beaucoup, moins cependant
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pour moi encore que pour mes parents qui rien savent encore
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rien. Aujourd'hui, à 2 heures je suis allé
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au Jardin des Plantes pour vous conter tous ces ennuis. Vous
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n'y étiez pas, et à dire vrai, tant mieux : j'aime mieux
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vous écire. C'est plutôt fait que de parler, et en pareil
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cas, c'est moins embarrassant.
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Comme depuis 15 jours je ne peux plus travailler, parce que
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ma tête est prise par toutes ces balivernes d'argent, et que je
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m'ennuie comme une bête, pour en finir et pouvoir penser à
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mon aise toute l'année, je voudrais emprunter maintenant
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600 F , aux intérêts ordinaires, avec pouvoir de rembourser dans
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6 mois, un an ou deux ans, à ma volonté : parce que
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peut-être ne pourrais-je rembourser que dans deux ans ;
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comme aussi si cet argent de Champagne arrive bientôt, dans
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6 mois je serais au large. Ces 600F me feront passer
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mes 12 mois, avec la leçon que je donne. Si ce qu'on
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m'a promis arrive, et surtout si par le père Barre je touve
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une ou deux leçons de plus, alors je serai riche pour long-
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temps, car il nous faut peu pour vivre.
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Connaissez-vous quelqu'un qui puisse me faire ce prêt de
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600F ? C'est là toute la question, et elle est très pressante
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Je vous assure, au moins pour 100F , car nous commençons,
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ma foi, à tirer la langue, tandis que notre propriétaire nous
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tend la main. Vous voyez que la position est des plus drôles !
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J'attends tout de vous ; si par vos connaissances vous ne
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pouvez m'aidez dans cette affaire. J'en perds la tête, et je
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n'y vois plus que du feu. J'ai bien encore un vieil
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ami de mon père, mais je doute qu'il puisse quelque chose
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par lui ou par d'autres.
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Un mot de vous promptement, car ça presse : je vous
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serai bien obligé.
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Mes civilités à Mme et à Mlle Barye .
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Au revoir, je vous touche cordialement la main.
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Tout à vous.
Didron rue d'Ulm, n°1