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Antoine-Louis Barye et les arts décoratifs

Antoine-Louis Barye, fils d’un orfèvre, suit une première formation de fondeur ciseleur et de graveur sur métal, avant de se tourner vers la « grande » sculpture chez Bosio, puis de revenir à l’orfèvrerie et au bronze d’ameublement chez Henri Fauconnier, avant la faillite de celui-ci en 1827. Cette relation originelle de Barye aux arts dits décoratifs est globalement connue et d’ailleurs exposée par Laborde dans son discours à l’Académie des beaux-arts en mémoire du sculpteur ; une longue lettre de Daniel Ducommun du Locle donne d’autres précisions datant de 1820-1830.

Dans ses détails, il est cependant plus difficile de caractériser précisément cette relation, comme c’est d’ailleurs souvent le cas pour Barye et pour les arts décoratifs de ce milieu du XIXe siècle. Les documents conservés à l’INHA apportent toutefois quelques lumières dans ce brouillard, en lançant des pistes de noms, de méthodes, qui s’ajoutent à ce qui est déjà connu. Un feuillet rassemblant des éléments autobiographiques nous donne deux grands points de départ : le surtout du duc d’Orléans et les candélabres.

Le surtout de table créé pour Ferdinand-Philippe d’Orléans, ses monumentales Chasses et ses duels d’animaux à l’esthétique violemment romantique figurent parmi les pièces fondatrices de la présence de Barye dans le monde du décor. Il ne reste de cette commande de 1834 que des dessins et des pièces aujourd’hui démantelées et dispersées, mais ce qu’a produit Barye à cette occasion innerve son œuvre, presque tout au long de sa carrière, en particulier par les variantes diverses des groupes qu’il imagine. Le travail fourni à ce moment s’appuie sur de la documentation précise, comme on le lit dans une lettre du secrétariat du duc d’Orléans, qui envoie à l’artiste deux volumes utiles à la bonne connaissance de l’équipement d’un éléphant en chasse, nous informant par ailleurs des liens bien plus que superficiels entre commanditaire et artiste.

Si ce titanesque surtout est le plus connu, d’autres ensembles parsèment la carrière de Barye : les papiers Barye de l’INHA gardent trace notamment d’un service ou surtout pour les Rothschild, mentionné à plusieurs reprises : une lettre de 1835 de l’architecte Arveuf-Fransquin porte sur ce travail, dont l’auteur donne l’esquisse, et cite le sculpteur-ornemaniste Jules Klagmann ; alors que trois missives de Chenavard, autre sculpteur-ornemaniste, montrent un enthousiasme très modéré pour un travail qui semble être le même, mais évoquent également des liens avec le sculpteur Cavelier et Henri Duponchel, tous autour du nom de Rothschild. Le réseau qui affleure dans cette correspondance laisse deviner la place de Barye dans des procédés créatifs bien installés dans le monde de l’ornement.

La question du rôle exact de Barye dans la création des pièces décoratives que sont les candélabres et autres brûle-parfums, coupes, pommeaux de canne reste en suspens. De premier abord, il semble logique de le penser non comme ornemaniste – ce n’est pas sa formation – mais comme sculpteur animalier – il crée les groupes, mais les supports d’orfèvrerie sont dessinés et réalisés par des sculpteurs-ornemanistes. Cependant, certaines pièces conservées, certains dessins du Walters Art Museum de Baltimore montrent que la question n’est pas si tranchée et qu’il ne faut pas créer un découpage des tâches artificiel entre les différents acteurs. Qui dessine les socles et les coffrets aux influences Renaissance que surplombent le Guerrier tatare ou Charles VIII ? Le carnet conservé à l’INHA dans le fonds Fabius est parsemé de noms d’ornemanistes, de ciseleurs, de bijoutiers, de bronziers qui ouvrent la voie, comme la correspondance, à l’approfondissement du réseau autour de ce Barye qui ne paraît décidément plus si solitaire que le veut sa légende .

En revanche, les embellissements décoratifs sur plusieurs de ses créations (tel des émaillages comme celui du groupe Roger et Angélique conservé au musée d’Orsay ), proposés par Émile Martin, son associé entre 1845 et 1857, ne semblent pas avoir remporté l’adhésion du sculpteur. Les pièces décoratives devaient être commercialement intéressantes et Martin oriente les tirages en ce sens, avec par exemple une production importante de la paire de flambeaux Renaissance dans les années 1850. Il n’empêche que les commandes de candélabres, de flambeaux et de brûle-parfums reviennent bien souvent dans les archives, montrant qu’elles soutiennent au moins financièrement en partie la carrière de Barye avant que sa sculpture animalière ne connaisse un succès plus affirmé, dans les années 1820-1850. Trois modèles de candélabres figurent dans son catalogue dès la première édition connue. Il fond deux pendules commandées par Isaac Pereire en 1858 et la correspondance de l’INHA suit quelques commandes, en particulier de l’épouse de ce même Pereire, Fanny, pour plusieurs candélabres, et expose même des problèmes très matériels de casse après livraison – montrant au passage un Barye impliqué directement dans la réalisation et la vente de ces pièces.

Bien au-delà des petits bronzes dédaigneusement catégorisés comme « serre-papiers », les figures animalières créées avec brio par Barye pour l’ornement donnent vie à des pièces décoratives, dans un contexte romantique qui apprécie les éléments naturalistes, qu’ils soient végétaux ou animaux .

Autrice
Sophie Derrot

Citer cet article

Sophie Derrot, « Antoine-Louis Barye et les arts décoratifs », dans Victor Claass, Sophie Derrot, France Nerlich (dir.) Les Papiers Antoine-Louis Barye, Plateforme d’édition numérique de sources enrichies, Paris, Institut national d’histoire de l’art, 2022. URL : https://barye.inha.fr/parcours/BaryeEtLesArtsDecoratifs


1 Voir le dessin de Deux études de gazelles conservé aux Beaux-arts de Paris, EBA 509-100. URL : http://www.ensba.fr/ow2/catzarts/voir.xsp?id=00101-37372&qid=sdx_q0&n=125&sf=&e =

2 Une Chasse au tigre (27.176) et une Chasse au taureau sauvage (27.178) en bronze sont conservés au Walters Art Museum de Baltimore, 27.178. URL : https://art.thewalters.org/detail/29585/surtout-de-table-tiger-hunt/ ; https://art.thewalters.org/detail/1323/surtout-de-table-wild-bull-hunt/

5 Voir, en complément, l’article « Les œuvres décoratives de Barye », Revue des arts décoratifs, 1888-1889, t. IX, p. 369-371. URL : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5651670v/f460.item