p.1 Barye 1820 - 1830 p.2 sans transcription p.3 Exposition de Couture après la mort de l'artiste en 1880 Paris, 10 sepbre 1880Monsieur, Lors de notre rencontre à l'exposition de Couture, je vous ai offert quelques renseignements sur Barye qui puissent servir à votre notice, je viens remplir cet engagement, me disant qu'à mon âge des souvenirs aussi anciens, donc très effacés et vous demandant votre indulgence pour leur peu d'interet. C'est de 1822 à 1830 que mes rapports avec Barye furent assez fréquents. En 1822, j'étais avec lui élève dans l'atelier de Bosio, en 1830, je quittais Paris. Depuis cette époque je ne le revis qu'à de longs intervalles. En 1822, l'atelier de Bosio était bien composé, Debay, Duret, les 2 Dantan en sont sortis, avisé queMonsieur Barbedienne p.4 Barye et Marochetti, très différents dans leurs talents. Barye paraissait bien à l'atelier, seulement l'hiver, retenu l'été par ses études et ses travaux au Jardin des plantes, il n'y jouissait d'aucune considération particulière, ne se mélait en rien à nos habitudes, à nos conversations sur les arts, il était solitaire, triste, soucieux, d'un tempérament nerveux, irritable, il se contraignait. Son oeil d'un bleu gris, son regard vif, pénétrant, son teint pâle, des cheveux noirs, sa barbe naissante, aussi ! la taille était ordinaire, son allure vive et saccadée, quant à sa femme, correcte sans prétention ainsi que sa toilette, supérieure et plus recherchées que celle de ses camarades. La vie et la conduite de cet artiste étaient mysterieuses, il se dérobait à toute communication à toute expression et se retirait aussitôt la séance de modèle terminée. cette sauvagerie pourrait s'expliquer par le seul mot il était marié, père de famille disait on et peu heureux ! – les habitudes p.5 les propos, d'hommes plus jeunes que lui étaient antipathiques à sa nature sérieuse, il méprisait leur talent. Plusieurs de ces élèves étaient ses rivaux dans les concours académiques, où il ne réussissait pas. Il ne venait parmi nous, que pour se concilier le maitre, étudier le modèle. Barye se montrait inférieur aux autres éleves pour le modelage en terre, il lui fallait une matière plus dure, la cire, un travail plus prolongé. ses camarades ne le consideraient que comme graveur en médaille, genre secondaire, où il n'avait pas de succès. Voila exactement sa situation à 25 ou 26 ans, qui aurait deviné alors, son grand talent, ses grandes qualités. Il a fallu une revolution dans l'art et ses aptitudes toutes particulières, developpées par des circonstances exceptionnelles, pour qu'il sortit de la foule. Barye s'est montré alors sculpteur, romantique dans la bonne voie p.6 comme Delacroix et Géricault pour la peinture, si longtemps repoussés par le gout du public. il chérissait leurs oeuvres et leurs principes et n'aspirait qu'à les imiter. Il y a toujours eu des relations intimes entre la peinture et la sculpture de tous les siecles, même interpretation de la nature, entraînés par les Italiens nous sommes envahis par le genre qui n'a pas les qualités de la renaissance. En 1820, Bosio representait la sculpture vraie fine et délicate, sans le manierisme actuel, Salmacis et Hyacinthe en font foi, Cartellier enseignait la sculpture monumentale ces deux professeurs, les seuls de cette époque dirigeaient leurs éleves dans un sens différent, ce dernier nous a donné Lemaire, Dumont, Boman, ect. vous connaissez leurs œuvres. Le choix de Barye était tout indiqué, ennemi de toute règle academique de toute convention, il n'avait cherché qu'un imitateur délicat de la nature p.7 tel qu'on pouvait l'attendre d'un miniaturiste, qui s'était, tout d'abord révélé par les très beaux bustes de Denon et de la famille Impériale. Emporté par la réputation alors dominatrice de Canova, Bosio avait fait un hercule qui n'est que boursouflé, cette grande sculpture est très inférieure a ses autres oeuvres, vous l'avez compris, le grand malheur d'un artiste est de ne pas se connaître ! Notre cher Barye n'en était pas là, il n'est jamais sorti de ce qui lui était personnel, l'étude des animaux y compris l'homme ! Emporté par une conviction, une passion véritable pour le naturalisme, il a produit des oeuvres inimitables et qui le mettent au premier rang non seulement de son époque, mais de toutes les époques, c'est un artiste hors rang comme michel ange et unique dans son genre ; sans qu'il puisse faire école et trouver de successeur. on atteindra peut être sa science jamais l'énergie et la passion dramatique qui le caractérisent. p.8 Ses qualités rappellent les poetes de son temps, dramaturges comme victor hugo, ses animaux ses hommes donnent en spectacle leurs plus féroces instincts, le lion tue le serpent, le jaguar arrache les entrailles de sa victime, le tigre dévore un cerf, un lapithe écrase la tête d'un centaure, thésée va percer le minotaure, tous ces sujets accusent la sauvagerie des premiers âges. si Barye s'était contenté de représenter ces animaux au repos, sa popularité ne serait pas venue, il me disait en me montrant ses esquisses que rien ne le détournerait de sa voie, qu'il voyait clair dans l'avenir qui lui appartenait, heureux don du génie. Il reste un point essentiel à débattre, le mouvement en sculpture est il comme dans le Lapithe le nec plus ultra de l'art, je ne le crois pas, Michel ange en a fait abus et n'a jamais atteint, la beauté, comme les grecs, qui eux mêmes ont perdu les belles regles de la statuaire sous l'empire romain. Dans p.9 ses reproductions humaines, Barye a judicieusement choisi le type grec presque énigmatique, le seul qui put convenir à ses sujets fabuleux tels qu'on les retrouve dans les bas reliefs, du combat des amazones du temple d'artemis Leucophryène. Ses héros sont bien des hommes primitifs dont les formes des muscles ont acquis par l'effort journalier, une ampleur, une énergie qui n'appartient plus à nos temps modernes; malgré son peu de gout pour l'école classique, il a bien fallu y revenir ! Mes relations avec Barye assez suivies pendant quelques annés, étaient le resultat de sentiments sympathiques qui ne pouvaient être troublées par aucune rivalité. on vit difficilement seul, il n'avait personne, près de lui, il m'emmenait dans son atelier, chez mrBiennaisFauconnier orfevre pour me montrer ses travaux ses études. Il était alors plutôt considéré, comme ciseleur que p.10 comme artiste et son établi était couvert de pieces fondues, pour qu'il les montat et les ciselat. son chef connaissant son mérite, lui laissait le temps d'aller au jardin des plantes suivre des cours d'anatomie comparée. c'est ainsi qu'il a appris, celle des animaux, étudié leurs mœurs ; leurs passions, leurs mouvements, recueilli amassé pendant dix ans, les connaissances et les matériaux les plus précieux. il recevait 3 000 f par an et quelques gratifications, ressources insuffisantes pour rien entreprendre des travaux pour lui même on trouvait MrBiennaisFauconnier très généreux, prétendant que Barye ne faisait rien, qu'il était distrait reveur et souvent rageur. Il avait heureusement rencontré un homme qui tenait compte de son mérite et lorsqu'en 1823 l'empereur de Russie commandat à cet orfèvre un surtout de table en argent il le chargea de faire les modèles en cire de tous les animaux qui devaient servir d'ornements à ses différentes pièces. c'est par p.11 ce travail que Barye se fit connaître. Ce service cependant ne fit pas d'effet, parce qu'il ne fut pas exposé, comme celui qu'il éxécuta plus tard pour le Duc d'orléans son procédé était très simple, il modelait en cire, des animaux d'après nature, au jardin des plantes, remplacant par leur verité, ceux de convention dont on se servait à cette époque. que de courage, de persévance pour vaincre, la routine consacrée il a fallu déployer quel amour du vrai dans cette poursuite du beau qu'il a souvent atteint. d'un esprit sombre il n'a jamais représenté que des scènes de carnage, je ne connais rien de plus violent que son Lapithe, la tête renversée, qui va être écrasée par la massue de son vainqueur. cette tête est bien plus expressive que celle du Laocoon. Je n'ai jamais connu la vie intérieure de Barye, à cette époque il la cachait à tout le monde, je p.12 ne pénétrais que dans son atelier, je trouvais en lui un esprit supérieur, observateur analytique, tout dévoué à son art, dont il cherchait à garder le secret. Je savais ses misères, ses ennuis, je ne le questionnais jamais, admirant son talent, sa constance sa fermeté. L'insuccès de Barye dans les concours de l'école a eu plusieurs causes D'abord il n'était pas pris au sérieux comme statuaire, on ne le considérait que comme graveur en médaille, l'académie s'est toujours refusée à donner le prix de sculpture dans ces conditions; de plus il était marié avait des enfants et l'on disait que le prix serait perdu, qu'il n'irait pas à Rome; je ne connais pas de grand prix obtenu, dans ces conditions. eut il augmenté son talent à rome je ne le crois pas, les animaux des anciens sont très beaux, témoin la louve du tibre mais ils sont secondaires ou décoratifs, ils n'ont pas la vie animée, exhubérante de ceux de notre ami, qui était avant tout romantique ! tout est donc pour le mieux, l'homme passe on l'oublie il ne reste que ses oeuvres. Je ne parle pas p.13 du mérite de ses bronzes, vous êtes, Monsieur meilleur appréciateur que moi, j'ai reconnu que le métal était le meilleur reproducteur de la sculpture et qu'aucun marbre n'approche de la vie et de la finesse des bronzes de Pompéi. vous seul avez apporté en notre temps, par votre gout artistique si éclairé, la perfection dans cet art illustré par benevenutto(sic) Cellini votre signature, sera votre renommée. Les artistes doivent vous rendre grace, de reproduire leurs oeuvres, qui par vous passeront à la postérité, pour mon compte je suis très heureux de voir une de mes statues figurer dans votre collection. Agréez, Monsieur, l'assurance de mes sentiments les plus distinguésDaniel statuaire Ducommun du Locle129 Bd Pereire