p.1 INSTITUT DE FRANCE. ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS. NOTICE SUR M. BARYE PAR M. JULES THOMAS Lue dans la séance du 18 novembre 1876. PARIS TYPOGRAPHIE DE FIRMIN-DIDOT ET CIE IMPRIMEURS DE L’INSTITUT DE FRANCE, RUE JACOB, 56. M DCCC LXXVI. p.2 sans transcription p.3 INSTITUT DE FRANCE. ACADEMIE DES BEAUX-ARTS. NOTICE SUR M. BARYE PAR M. JULES THOMAS Lue dans la séance du 18 novembre 1876. PARIS TYPOGRAPHIE DE FIRMIN-DIDOT ET CIE IMPRIMEURS DE L’iNSTITUT DE FRANCE, RUE JACOB, 56. M DCCC LXXVI p.4 sans transcription p.5 INSTITUT DE FRANCE. ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS. NOTICE SUR M. BARYE PAR M. JULES THOMAS Lue dans la séance du 18 novembre 1876.Messieurs,La vie d’Antoine-Louis Barye n’offre à celui qui est chargé de la retracer ni événements extraordinaires, ni épi- sodes romanesques ; elle s’est écoulée simplement dans l’étude et le travail. Il naquit en 17951796, à Paris, d’un père originaire de Lyon qui exerçait la profession d’orfévre. A cette époque, les orfèvres étaient tous modeleurs et ciseleurs, et ce fut dans la maison paternelle que le jeune Barye sentit s’éveiller en p.6 — 4 —lui ce goût pour les arts du dessin qui devait plus tard illustrer son nom. De très-bonne heure il commença ses études ou plutôt son apprentissage chez un graveur de matrices pour les repoussés qui avait l’entreprise des em- blèmes et ornements militaires ; il resta auprès de M. Fou- rier jusqu’en l’année 1813,époque où il dut obéir à la loi qui appelait alors sous les drapeaux des soldats à peiné sortis de l’enfance. Libéré en 1814 parla chute de l’Empire, il re- vint chez son patron. Mais déjà ses aspirations ne trouvaient plus à se satisfaire dans ce milieu modeste, et il ne tarda pas à entrer dans l’atelier de Bosio, qui se partageait alors avec celui de Cartelier la faveur publique. Tous deux ont formé des artistes dont la postérité retiendra les noms ; celui de Barye est de ce nombre. Bien qu’il trouvât chez son maître un enseignement dont l’influence fut incontes- table, poussé par le besoin qu’il éprouvait de saisir la vie sur le fait et dans son expression la plus énergique, en- traîné aussi par son admiration pour le génie de Gros, Barye sollicita l’honneur de travailler chez l’auteur de tant de chefs-d’œuvre et fut admis en 1817 au nombre de ses élèves. Deux ans après, il se présenta au concours de gravure en médailles, dont le sujet était Milon de Crotone dévoré par un lion, et fut jugé digne du second prix. L’année suivante, en 1820, il monta en loge pour concourir au grand prix de sculpture et remporta encore la seconde couronne sur une figure en ronde-bosse, Caïn maudit. Découragé par plu- sieurs échecs, il abandonna la carrière ; mais, en renonçant à ces luttes qui donnent au triomphateur une récompense si précieuse qu’elle reste comme le plus cher souvenir de p.7 5ceux qui l’ont obtenue, il se trouva tout d’un coup aux prises avec les nécessités de l’existence.Obligé de chercher du travail, il en trouva chez M. Fau- connier, orfèvre de la cour, qui eut le mérite de sentir la valeur du jeune artiste qu’il employait. Là, Barye se livra à des ouvrages de ciselure et de gravure en tous genres ; il exécuta de petites compositions où figuraient déjà des ani- maux comme motifs principaux de l’ornementation et un certain nombre de groupes, parmi lesquels je citerai le Sanglier d’Erymanthe. Ces travaux d’un art délicat et soigné furent appréciés des amateurs et indiquèrent à l’artiste qui la cherchait encore la voie dans laquelle son talent devait s’engager.Les sculpteurs de ce temps ne faisaient pas d’animaux ; ils considéraient ce genre de production comme une partie inférieure de l’art, et, lorsqu’ils avaient à en intro- duire dans un de leurs ouvrages, ils en confiaient l’exécu- tion à des mains secondaires. Lorsque Barye se prépara à mettre sous nos yeux de véritables animaux au lieu de ces êtres d’une convention qui n’est plus admise aujourd’hui, il dut se faire son propre maître car il n’avait pas de pré- décesseurs. Le moment était favorable pour cette étude. Les collections du muséum, par les soins de Cuvier et de Geoffroy Saint-Hilaire, s’enrichissaient des squelettes de toutes les espèces, même de celles inconnues à notre âge. D’un autre côté, les bas-reliefs du Parthénon avec leur défilé de beaux cavaliers venaient d’être moulés et introduits en France, en même temps que des sarcophages égyptiens d’une haute antiquité, couverts d’animaux dont un simple trait suffit à fixer le caractère. Barye reconnaissait lui-même p.8 6tout ce qu’il dut à la contemplation de ces monuments, comme à celle de ces grands sphinx couchés dont la sim- plicité est si imposante. A cette étude des beaux types de l’art ancien il joignit avec persévérance celle de la nature, dont la ménagerie lui offrait des modèles sans cesse renou- velés. C’est alors qu’il entreprit ses travaux sur l’anatomie des animaux et sur leurs proportions dans une suite consi- dérable de dessins que je n’ai pas à louer : vous les avez remarqués à l’exposition posthume de l’Ecole des beaux- arts. Je me contenterai d’exprimer le vœu qu’après un classement intelligent et délicatement compris, ils soient mis par la gravure dans le domaine public. Ils révéleraient à tous le secret de l’art avec lequel Barye a su rendre des modèles qui ne mettent pas de complaisance à poser et dont il faut saisir, comme au vol, les moindres mouvements. Sa prodigieuse mémoire et une grande finesse d’observation lui ont permis de nous les montrer, sans jamais lasser nos regards, dans toutes les attitudes qui leur sont familières. Quelle vérité ! Quelle expression ! Comme tous ses animaux vivent! Ils ont l’esprit, l’âme, et rappellent ceux que notre la Fontaine a fait parler dans une langue inimitable.Ainsi préparé par de patientes et sérieuses études, Barye était mûr pour le succès qui ne devait pas se faire attendre. Au salon de 1831, son groupe du Tigre dévorant un crocodile attira vivement l’attention du public et des artistes ; il se recommandait par cet aspect sculptural et cette science de l’exécution que l’on retrouve dans tous ses ouvrages. L’attitude est naturelle, et sous le calme apparent de la bête on sent une énergie féroce. L’expression de la tête, les on- dulations de l’échine, le frémissement des muscles donnent p.9 7bien l’idée de la passion assouvie ; enfin une étude savante en fait une œuvre accomplie.Du premier coup Barye, inconnu la veille, arrivait à la réputation. C’était alors le temps de la querelle des clas- siques et des romantiques, qui, après avoir agité les litté- rateurs, troublait les artistes. Je ne sais pas trop ce qu’on entend par un sculpteur romantique. Dans les alentours de 1830 on le savait, paraît-il, car Barye fut réclamé comme un des leurs, par ceux qui se targuaient de l’être. Lorsqu’en 1868, vous l’avez appelé à s’asseoir dans vos rangs, vous ne vous êtes pas préoccupés de l’épithète dont on avait qualifié son talent. Vous avez, suivant votre jus- tice, récompensé des ouvrages estimés de tous.A partir de 1831, sa production ne s’arrête plus. Au tigre succède le Lion terrassant un serpent, moins sculptural peut-être, mais qui, dans toutes ses parties, dans la co- lonne vertébrale au contour arrondi, dans les lèvres qui se retroussent violemment, dans les griffes qui saillent de leurs gaines, exprime d’une manière saisissante la ter- reur et la rage.Puis viennent des compositions de tout genre et de toute dimension, souvent terribles, parfois ingénieuses ou gra- cieuses, toujours sûrement modelées et que le bronze a rendues populaires. Je citerai le Jaguar dévorant un lièvre (musée du Luxembourg), la Panthère tenant une gazelle, le Cerf de France, le Lion marchant, qui a tout le caractère d’un grand ouvrage malgré sa petite proportion, le Cheval turc, le Che- val percheron, tous deux d’une observation si juste et si net- tement rendue qu’on ne peut se méprendre sur la race. En- fin, parmi les sujets où l’homme est représenté, le Charles VI p.10 8dans la foret du Mans, le Charles VII, le Guerrier tartare et surtout le Gaston de Foix, une statuette qui a l’aspect d’une statue historique et qui, exécutée dans sa véritable dimen- sion, mériterait de décorer une place publique.Les amateurs du goût le plus délicat et du rang le plus élevé se disputaient ses ouvrages et faisaient appel à ce ta- lent qui se maintenait au même degré de perfection. Le duc d’Orléans commanda à Barye un surtout de table, dont les groupes principaux sont les chasses : au tigre, au taureau, au lion, à l’ours et à l’élan. Les sujets, choisis avec une line sagacité, étaient d’une composition originale et d’une exé- cution pleine de mouvement et de vie. Pour le duc de Montpensier, il exécuta le groupe de Roger et Angélique, et, pour le duc de Luynes, le Lion terrassant un cheval.J’ai hâte d’arriver à l’ouvrage de Barye qui me semble son chef-d’œuvre, quoiqu’il ait eu dans le public moins de succès que le Lion combattant le serpent, je veux parler du Lion au repos. Dans cette figure, comme dans toutes celles qui appartiennent aux nobles époques de l’art, la ligne est cherchée et heureusement trouvée, le contour pré- cis, la forme bien divisée et accentuée par de grands et beaux méplats ; l’anatomie fortement accusée est revêtue du modelé ferme et large qui donne le vrai caractère. L’ex- pression ne laisse rien à désirer. Le fauve féroce se recon- naît, malgré son attitude calme, dans les yeux clignotants. C’est la force dans sa sérénité implacable et dans sa ma- jesté souveraine. N’a-t-on pas la vision d’un de ces sphinx éternels dont il évoque l’image?Presque au niveau de ce monument où le talent spécial de Barye s’affirme dans toute sa supériorité, il est permis de p.11 — 9 —placer les deux groupes de Thésée. Dans celui qui nous le montre combattant le Minotaure, la noblesse du héros forme avec la brutalité de son ennemi un contraste aussi bien rendu dans le mouvement que dans la forme. Le premier est calme, il est sûr de lui-même et n’a pas besoin d’un grand effort pour triompher de la brute qui s’épuise en contractions désespérées. Le second groupe représente Thésée qui s’est élancé sur la croupe du Centaure. Les quatre pieds du monstre glissent sur le terrain qui manque sous ses pas, tant ses flancs sont pressés par les robustes genoux du puissant cavalier; saisi à la gorge, il ne peut plus dérober sa tête à la massue qui la menace. Nobles compositions aussi savamment exécutées que hautement conçues !La réputation désormais consacrée de Barye devait ap- peler sur lui l’attention du gouvernement. A son passage au ministère de l’intérieur, M. Thiers avait pensé à lui de- mander, pour l'arc de triomphe de l’Étoile, un couron- nement qui devait montrer l’aigle impériale tenant la fou- dre dans ses serres et dominant les nations vaincues ; l’es- quisse seule en fut faite. Barye exécuta,pour la colonne de Juillet, inaugurée en 1840, un lion en bas-relief, une de ses œuvres les plus remarquables, et pour l'église de la Made- leine, une sainte Clotilde en marbre. Lorsque la réunion du Louvre aux Tuileries fut décidée, l’habile architecte chargé de l’accomplir lui confia la décoration des pavillons Mollien et Denon. Chacun des groupes, la Guerre, la Paix, la Force protégeant le travail, l’Ordre protégeant les nations, est composé d’un homme fait et d’un adulte ; l’artiste, par une prédilection toute naturelle, y a introduit des ani- maux. Ces morceaux sont d’une belle donnée décorative et p.12 10montrent toutes les ressources d’un talent souple et varié. Dans le groupe de la Guerre l’enfant qui sonne de la trom- pette et l’homme qui, dans celui de la Paix, s’appuie sur un hoyau sont d’un beau mouvement. L’exécution en est singulièrement mâle et énergique. Barye fit encore pour le même palais le fronton du pavillon de l’Horloge.En 1863, la ville d’Ajaccio résolut d’élever, à la mémoire de la famille de Napoléon, un grand monument composé de l’empereur et de ses quatre frères. Pour obéir au pro- gramme qui lui avait été imposé, Barye représenta Napo- léon à cheval, vêtu à l’antique. Cette statue a été directe- ment envoyée en Corse, mais il nous est facile d’en appré- cier le mérite d’après le modèle de demi-grandeur exposé à Paris. L'empereur porte dans une main le globe du monde et de l’autre il retient, sans le serrer, le frein du cheval qui marche d’une allure simple et calme; le cavalier est bien assis et sa chlamyde, ajustée avec goût, descend par une ligne de l’effet le plus agréable sur la croupe de la monture. Lorsque j’aurai signalé le projet d’une statue équestre du même personnage pour la ville de Grenoble, j’aurai, non pas épuisé la nomenclature des ouvrages de cet artiste fécond, mais du moins cité les principaux.Barye a tenu dans l’art contemporain une place éminente. Il a eu, dans le genre où il a excellé, une influence considé- rable. Malgré son titre de professeur au Jardin des Plantes, il n’a pas formé directement d’élèves, mais ses œuvres ont été étudiées avec passion et ont servi de modèles à une généraiion d’artistes qui se sont pénétrés de sa manière large et simple où le don de l’observation, le sentiment de p.13 11a forme, la science de l’anatomie se fondent dans un en- semble harmonieux, et qui ont le droit de le revendiquer comme leur maître.Voilà quel fut l’artiste ! Quant à l’homme, il était sim- ple dans sa vie, soutenant avec modestie, sans se laisser éblouir par le succès, une célébrité qui le faisait recher- cher de toutes parts. Peu accessible aux avances du monde, ami du foyer domestique, il fuyait les grandes réunions et ne se trouvait à l’aise que dans un cercle intime et res- serré de quelques amis dont il aimait la gaieté sans y prendre part lui-même. Les grands éclats l’effarouchaient ; d’ordinaire silencieux, il ne se mêlait jamais à une conver sation générale, préférant écouter ou causer à voix basse avec ses voisins. Bon, d’une douceur et d’une égalité de caractère inaltérables, il était si réservé que peu de per- sonnes, même parmi ses amis, peuvent se vanter de l’avoir fait causer avec abandon et surtout de l’avoir entendu porter un jugement sur les œuvres de ses contemporains. Lorsque par extraordinaire il se laissait aller à en parler, il le faisait toujours avec une extrême bienveillance. Nommé chevalier puis officier dans la Légion d’honneur, vous lui avez donné parmi vous le droit de cité, consacrant ainsi le jugement public ; bien digne récompense d’une vie entièrement vouée au travail et à l’étude de l’art.Barye est mort le 25 juin 1875, à la suite d’une longue et douloureuse maladie, entouré d’une famille qui le ché- rissait, assisté d’une femme qui, après avoir partagé les amertumes comme les joies de sa vie, sut en adoucir les derniers instants.Puissé-je, Messieurs, en retraçant à grands traits devant p.14 - 12 -vous la vie et les travaux de Barye, ne lui avoir pas rendu d’une manière trop indigne l’hommage dont le choix de l’Académie, en m’appelant à l’honneur de lui succéder, m'imposait le devoir ! p.15 sans transcription p.16 sans transcription